Devant moi,les Champs-Elysées!1
Ah!c'est la mer!Une foule immense est massée de part et d'autre de la chaussée2. Peut-être deux millions d'âmes. Les toits aussi sont noirs de monde. A toutes les fenêtres s'entassent des groupes compacts3,pêle-mêle, avec des drapeaux. Des grappes humaines sont accrochées à des échelles, des mâts, des réverbères. Si loin que porte ma vue, ce n'est qu'une foule vivante,dans le soleil, sous le tricolore.
Je vais à pied. Ce n'est pas le jour de passer une revue4 où brillent les armes et sonnent les fanfares. Il s'agit, aujourd'hui, de rendre à luimême, par le spectacle de sa joie et 1'évidence de sa liberté, un peuple qui fut, hier, écrasé par la défaite et dispersé par la servitude5.Puisque chacun de ceux qui sont là, a dans son cœur, choisi Charles de Gaulle comme recours de sa peine et symbole de son espérance, il s'agit qu'il le voie, familier et fraternel, et qu'à cette vue resplendisse 1'unité nationa1e. I1 est vrai que les états-majors se demandent si 1'irruption d'engins blindés6 ennemis ou le passage d'une escadrille7 jetant des bombes ou mitraillant le sol ne vont pas décimer8 cette masse et y déchaîner la panique9.Mais moi, ce soir, je crois à la fortune de la France.
Je vais donc, ému et tranquille, au milieu de 1'exultation10 indicible de la foule,
sous la tempête des voix qui font retentir mon nom, tâchant,à mesure, de poser mes regards sur chaque flot de cette marée afin que la vue de tous ait pu entrer dans mes yeux, élevant et abaissant les bras pour répondre aux acclamations.I1 se passes, en ce moment, un de ces miracles de la conscience nationale, un de ces gestes de la France qui parfois, au long des siècles, viennent illuminer notre Histoire. Dans cette communauté, qui n'est qu'une seule pensée, un seul élan, un seul cri, les différences s'effacent, les individus disparaissent. Innombrables Français dont je m'approche tour à tour, à 1'Etoile11,au Rond-Point12, à la Concorde13,devant 1'Hôtel-de-Ville14,sur le parvis de 1a Cathédrale,si vous saviez comme vous êtes pareils!Vous, les enfants, si pâles!qui prépignez et criez de joie;vous, les femmes, portant tant de chagrins,qui me jetez vivats15 et sourires;vous, les hommes, inondés d'une fierté longtemps oubliée, qui me criez votre merci;vous, les vieilles gens, qui me faites 1'honneur de vos larmes, ah!comme vous me ressemblez!Et moi, au centre de ce déchaînement, je me sens remplir une fonction qui dépasse de très haut ma personne, servir d'instrument au destin.
A chaque pas que je fais sur l'axe16 le plus illustre du monde, i1 me semble que les gloires du passé s'accocient à celles d'aujourd'hui.Sous 1'Arc, en notre honneur, la flamme s'élève allégrement. Cette avenue,que l'armée triomphante17 suivit i1 y a vingt - cinq ans, s'ouvre radieuse devant nous. Sur son piédestal, Clemenceau18,que je salue en passant,a l'air de s'élancer pour venir à nos côtés.
Les marronniers19,des Champs-Elysées dont rêvait 1'Aiglon20,prisonnier et qui virent, pendant tant de lustres21, se déployer les grâces et les prestiges français, s'offrent en estrades joyeuses à des milliers de spectateurs. Les Tuileries22,qui encadrèrent la majesté de 1'Etat sous deux empereurs et sous deux royautés;la Concorde et le Carrousel23 qui assistèrent aux déchaînements de l'enthousiasme révolutionnaire et aux revues des régimes vainqueurs;les rues et les ponts aux noms de batailles gagnées;sur 1'autre rive de la Seine, les Invalides24, dôme25 étincelant encore de la splendeur du Roi-Soleil26,tombeau de Turenne27,de Napoléon, de Foch28;1'Institut, qu'honorèrent tant d'illustres esprits,sont les témoins bienveillants du fleuve humain qui coule auprès d'eux.
Voici qu'à leur tour, le Louvre, où la continuité des rois réussit à bâtir la France:sur leur socle, les statues de Jeanne d'Arc29 et de Henri IV30;le palais de Saint-Louis dont, justement, c'était hier la fête;Notre-Dame, prière de Paris et la Cité31,son berceau, participant à 1'événement.L'Histoire, rammassée dans ces pierres et dans ces places, on dirait qu'elle nous sourit.
Général de Gaulle, Mémoires de Guerre
注释;本文选自戴高乐将军所著《战争回忆录》一书。(mémoires de guerre)在这篇短文里,作者怀着激动的心情,回顾了一九四四年八月二十八日在巴黎隆重举行庆祝解放阅兵大典的壮观场面。
1. Champs-Elysées:香榭丽舍大街,它从凯旋门一直延伸到协和广场。 2. de part et d'autre de la chaussée:马路两边。 3. groupes compacts:密集的人群 4. passer une revue:阅兵 5. servitude:此处指受屈辱、受奴役。 6. engins blindés:装甲车 7. escadrille:空军中队 8. décimer:造成……大量死亡 9. panique:恐慌 10. exultation:狂喜 11. Etoile:星形广场现命名为戴高乐广场。从耸立在它学校的凯旋门向四边辐射出十二条林荫大道。 12. Rond-Point:香榭丽舍大街的圆形广场 13. Concorde:协和广场 14. Hôtel-de-ville:巴黎市政府所在地 15. vivats:欢呼,喝采 16. axe:戴高乐将军阅兵时所经过的路线。 17.指1919年。 18. Clemenceau:克莱蒙梭,1917年至1920年任法国总统。他的塑像耸立在圆形广场和协和广场之间。 19. marronniers:栗树 20. Aigion:拿破仑一世之子 21. lustre:五年时间 22. Tuileries:杜伊勒利宫。(旧时王宫,现正改建成花园。)这里曾是波旁家族、路易·菲利普... ... (deux royautés)和拿破仑一世、拿破仑三世(deux empereurs)的住所。 23. Carrousel:位于杜伊勒利宫和卢浮宫之间的一处名胜古迹。 24. Invalides:巴黎残老军人院 25. c1ôme:圆屋顶 26. Roi-Soleil:太阳王,指路易十四。 27. Turenne:路易十四手下最卓越的将军之一。 28.Foch:1918年任盟军最高统帅。 29. Jeanne d'Arc:贞德,英法百年战争时期著名的抗英女英雄。 30. Henri IV:亨利四世(1553-1610) 31. La Cité:斯德岛(巴黎旧城)。
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